L’histoire d’un jeune marin normand piégé au cœur de la Grande Guerre
Pierre Louis DUPONT est né le 3 septembre 1877 à Ancteville (Manche), lieu-dit de La Drie. Il est le 4ème et dernier enfant – que des garçons! – de Jean Baptiste Louis DUPONT (1823-1894), cultivateur et d’Alexandrine Marie LECLERC (1832-1915), couturière. Marin et Terre-Neuva de carrière, c’est à 37 ans qu’il se retrouvera propulsé au cœur de la Grande Guerre.
Service militaire et carrière de marin
Du haut de son mètre 54, il effectue son service militaire à Saint-Lô (Manche) en 1897. Il sait lire, écrire et compter, ce qui n’est pas donné à tout le monde à cette époque.
Entre fin 1901 et janvier 1903, Pierre est marin dans la navigation au commerce à Cherbourg (Manche). C’est probablement vers la fin de l’année 1902, début 1903 qu’il commence à fréquenter Victoria, qu’il n’épousera qu’en 1907.
Le 30 janvier 1903, il est affecté au 1er dépôt de marine militaire à Cherbourg où il est apprenti-fusilier de 3e classe jusqu’au 5 mai 1904. Il est enregistré sous le numéro matricule n°11516 à Granville.
Pierre embarque sur le contre-torpilleur « Le Harpon » du 5 mai 1904 au 10 janvier 1907 comme fusilier de 2e classe. Ses notes de tir et de service sont bonnes malgré quelques retards et quelques « mollesses au service ». On note aussi trois ivresses au retour de permissions à terre, en presque trois ans.
Pierre obtient un renvoi dans ses foyers en congé illimité le 10 janvier 1907. Ayant terminé ses 46 mois de service à l’État, il se retire à Granville.
Le 19 février 1907, il épouse à Gratot (Manche) Victoria Julia LEBOUVIER (1883-1973), ménagère et journalière, fille naturelle de père inconnu et d’Arthemise Désirée LE BOUVIER (1859-1934).
Pierre continue à naviguer, on le dit marin-pêcheur, matelot ou Terre-neuva, jusqu’au 28 octobre 1911. Il renonce alors finalement aux professions maritimes et devient journalier, vivant de petits boulots.
L’ancien marin rejoint la Grande Guerre
En 1914, La Première Guerre Mondiale éclate. Notre ancien marin rejoint ainsi la Grande Guerre et part en campagne contre l’Allemagne le 25 novembre 1914. Il a 37 ans et intègre le 80e Régiment d’Infanterie Territoriale qui est en pleine « course à la mer ». Les français et les allemands cherchent en effet à s’emparer à tout prix des ports du nord. Dunkerque, Calais et Boulogne représentent les seules portes d’entrée pour les anglais.
De nombreuses batailles violentes eurent lieu en ce sens dans la région des Flandres. C’est le cas de la tristement célèbre Bataille de l’Yser, près de Bixschoote. Elle se solda par un succès allié mais au bout de 3 semaines et à un prix insensé.
L’hiver dans les Flandres
Pierre arrive juste après cette bataille, au moment où le régiment doit maintenant tenir sa position. L’hiver est tombé en cette fin d’année 1914 et il est particulièrement terrible dans les tranchées des Flandres. En effet, l’humidité imprègne l’air et les hommes ont de l’eau jusqu’aux genoux, parfois jusqu’au ventre. Le climat est brumeux et maussade, le ciel uniformément gris, le voisinage de la mer du Nord rend l’atmosphère glaciale. Il est ainsi impossible d’approfondir les tranchées et d’installer des abris un peu confortables. Durant le premier hiver, Pierre DUPONT et son régiment alternèrent les séjours en ligne et les repos au cantonnement. Ils eurent surtout à souffrir, longuement et stoïquement, des rigueurs de la saison. Cependant le bombardement et la fusillade ne cessaient jamais et faisaient presque chaque jour quelques victimes.
Avec l’arrivée du printemps, le régiment se lance dans des travaux d’amélioration des tranchées. Mais les allemands reviennent régulièrement à la charge, comme le 22 avril 1915 au sud de Zuydschoote, où ils attaquent le 1er bataillon à grands coups d’obus asphyxiants et de nappes de gaz toxiques, contraires à toutes les conventions internationales. À 23h, le 1er bataillon du 89e RIT se poste près de Lizerne, tandis que le 2e bataillon occupe Lizerne. Les hommes tiennent position avec le soutien du 3e bataillon d’Afrique et d’un bataillon belge. Néanmoins, le 24 avril, ils doivent battre en retraite, essuyant la perte de deux officiers et d’un soldat, 52 blessés et 106 disparus.
Bataille d’Artois
C’est juste après ces événements, le 26 avril 1915, que Pierre Louis DUPONT quitte le 80e Régiment d’Infanterie Territorial et rejoint le 25e Régiment d’Infanterie. À peine arrivé dans ce régiment où ils sont presque tous plus jeunes que lui, il se retrouve en pleine bataille d’Artois.
La Colline de Notre Dame de Lorette pendant la bataille d’Artois. En un an, 188 000 soldats, dont 100 000 français, sont morts pour la défendre.
Aujourd’hui s’y trouve la plus grande nécropole française avec 20 000 tombes individuelles.
En mai 1915, on désigne le régiment pour former l’aile droite de l’offensive, en montant au nord d’Arras. Pendant 42 jours, il suivit ainsi le commandement du lieutenant-colonel PIQUE. Malgré la soif, la fatigue, les bombardements de gros calibres, les pertes, les difficultés de ravitaillement et l’impossibilité d’évacuer les blessés; Pierre et ses camarades ont pourtant fait preuve d’une « ténacité sans exemple et d’un esprit offensif merveilleux »; en progressant à pied dans la cuvette de Roclincourt, surnommée « Le Labyrinthe »; cet « immense charnier, des odeurs épouvantables, des parapets de cadavres et des mines engloutissant des sections entières ».
À la relève du régiment, le 24 juillet 1915, 23 officiers et 1300 manquaient à l’appel. Pierre, lui, avait déjà été réaffecté au 80e Régiment d’Infanterie Territorial depuis le 11 juin.
Bataille en lisière de la Forêt d’Argonne
Début août 1915, l’ancien marin arrive en renfort du 136e Régiment d’Infanterie, aussi originaire de la Manche et engagé dans la Grande Guerre. Ils partent ensuite, le 11 août, relever un régiment colonial à la lisière ouest de la forêt d’Argonne, tout près du Claon, dans la Meuse. Dès leur arrivée, et malgré les gaz asphyxiants auxquels l’ennemi les expose, ils s’emparent de haute lutte de la tranchée du Pavillon; puis, poursuivant l’ennemi à la grenade, « dans un corps à corps épique où la valeur de l’homme est tout », le régiment rejette en deux heures l’ennemi des tranchées qu’il avait mis deux semaines à conquérir et dégage la lisière sud du bois de la Gruerie. Le régiment a ensuite pour mission de tenir cette position, ce qu’il fera pendant un an.
Pierre Louis DUPONT n’aura hélas pas la chance de vivre encore si longtemps. Gravement touché à l’issue de cette offensive, il décède dans l’ambulance 14 des suites de ses blessures, le 19 août 1915.
Commémoration
Mort pour la France, son nom sera également inscrit sur le Monument aux morts de Gratot.
Pierre et Victoria possédaient très peu de biens. Pierre ne laissa aucune succession à son décès, comme le démontre un certificat d’absence d’actifs rédigé le 18 juillet 1917.
Ses trois enfants, René, Raymond et Marie, ont été adoptés par la Nation suivant le jugement des pupilles de la Nation du tribunal civil de Coutances en date du 2 juillet 1918.
Victoria ne s’est jamais remariée et a continué à élever seule leurs enfants à Gratot jusqu’à son décès le 21 août 1973 à Agon-Coutainville.
Sources complémentaires à Ma-Généalogie.net:
– Historique du 80e Régiment d’Infanterie Territoriale
– Historique du 25e Régiment d’Infanterie
– Histoire du 136e Régiment d’Infanterie
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